De la pollution au mercure : les enjeux (Partie I)

Selon l’OMS, le mercure est l’un des 10 composés les plus toxiques présents sur notre planète et c’est aussi le seul à faire l’objet d’une convention environnementale : la Convention de Minamata, du nom d’une ville japonaise qui subit l’une des plus grandes crises d’intoxication au mercure de l’histoire [1]. Des rejets industriels toxiques avaient alors été déversés dans la baie environnant la ville pendant des décennies, contaminant les poissons consommés par les habitants. Jusqu’à la fin des années 1960, ce furent environ 400 tonnes de mercure rejetés qui ont entraîné la mort de près de 2000 personnes [2].

Historique

Le mercure est utilisé par les sociétés humaines depuis le début des civilisations avec les plus anciennes traces datant du Néolithique au proche-orient [3]. C’est un métal présentant des propriétés très particulières qui expliquent sa forte toxicité mais qui ont aussi fait son succès. Seul métal liquide dans les conditions ambiantes, il peut être facilement utilisé pour former des amalgames avec des métaux précieux, d’où son usage depuis l’Antiquité pour l’extraction d’or notamment [4]. Encore aujourd’hui, près de 20% du métal jaune extrait dans le monde provient de mines artisanales utilisant des procédés à base de mercure [5].

Depuis 500 ans, près d’un million de tonnes de mercure auraient été extraites de mines de cinabres qui sont des roches riches en mercure associé à du souffre. On estime qu’un tiers des quantités utilisées par toute l’humanité provient des seules mines d’Almaden en Espagne où se situent les gisements les plus concentrés au monde. Ces mines étaient déjà exploitées par les Romains il y a plus de 2000 ans et ont été définitivement fermées en 2003 [6,7].

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A travers l’histoire, le mercure a fait l’objet d’applications dans de nombreux autres domaines. Il a été utilisé comme fongicide dans l’agriculture, comme détonateur dans le domaine militaire, en amalgame dentaire et antiseptique dans la médecine, comme base de procédés industriels dans la chimie, … [8]. On le retrouve dans tous les secteurs de la société et certaines de ces applications perdurent encore de nos jours un peu partout sur la planète.

Emissions dans l’environnement

Ces activités se développent souvent à une échelle industrielle et entraînent des émissions importantes de mercure dans l’environnement que ce soit dans les sols, les milieux aquatiques ou l’atmosphère. A cela, il faut aussi ajouter les rejets indirects dont certains peuvent être aussi considérables que discrets comme l’émission de mercure associée à la combustion du charbon, à la production de ciment ou encore aux industries métallurgiques. Pour comprendre cela, il faut savoir que le mercure est naturellement présent dans tout type de sol où on le retrouve sous forme de trace (environ 1 g pour 20 tonnes de roche [9]). Les procédés à haute température associés à ces activités vaporisent les faibles concentrations de mercure présentes dans les différentes roches utilisées. Et lorsque 8 milliards de tonnes de charbon ont été brûlées en 2024 dans le monde, les faibles concentrations de mercure s’échappant des cheminées des centrales thermiques atteignent alors des centaines de tonnes [10].

Certaines études récentes essaient d’estimer les rejets d’origine humaine à l’échelle de la planète. Un rapport de l’ONU fait état de rejets anthropiques de mercure directs et indirects totalisant près de 2200 tonnes rien que dans l’air pour l’année 2015 [11]. Aujourd’hui, on considère qu’il y a plus de mercure d’origine anthropique que naturelle dans notre atmosphère et à la surface des océans.

Tableau des rejets anthropiques de mercure dans l’air en 2015 (UNEP 2019):

Source Quantité de mercure rejetée dans l’air
Mines d’or 838 tonnes
Activités indutrielles 614 tonnes
Combustion des énergies fossiles 533 tonnes
Usage intentionnel (incluant les déchets) 239 tonnes
Total 2224 tonnes

Conséquences pour la santé

Les conséquences de ces émissions sur l’Homme et toute autre espèce vivante se font ressentir partout sur Terre. Lorsque le mercure est relâché dans l’environnement, il peut se retrouver sous une forme particulièrement toxique appelée méthyl-mercure qui est synthétisée par certaines bactéries se trouvant dans l’eau [12]. Ce méthyl-mercure peut remonter toute la chaîne alimentaire des milieux aquatiques et s’accumuler dans les poissons carnivores notamment. Ainsi, une consommation importante de certains poissons comme le thon ou l’espadon constitue l’une des sources principales de contamination y compris pour des populations se trouvant loin des sources d’émissions de mercure [13].

Une fois absorbé dans le corps humain, le méthyl-mercure présente de nombreux risques pour la santé concernant le système cardio-vasculaire, immunitaire et endocrinien ainsi que pour le cerveau [14]. Il peut aussi traverser la barrière placentaire et nuire au développement du fœtus. Chaque année au sein de l’UE, il est estimé que près de 1,8 million d’enfants naissent avec un niveau de contamination au mercure ayant des effets néfastes sur la santé, notamment concernant les aspects neuro-cognitifs [15]. Cette contamination est principalement liée à une consommation importante de poissons prédateurs chez la femme enceinte [16].

La convention de Minamata

En 2013, la Convention de Minamata, qui a été signée par 140 pays, a pour objectif de répertorier, limiter voire supprimer l’utilisation du mercure dans les pays signataires. Au sein de l’UE, l’application de cette convention conduit à l’interdiction généralisée du mercure en cette année 2025 à quelques rares exceptions près [17]. Partout sur Terre, les usines d’électrolyse chlore-alkali, fondamentales dans l’industrie de la chimie, utilisent parfois des procédés reliés au mercure. A la suite des intoxications à Minamata, ces usines sont progressivement fermées ou reconverties avec des technologies alternatives depuis les années 1970 [18]. La reconversion de ces industries commença dans certains pays bien avant la ratification de la convention. Ceci entraîna une baisse des besoins en mercure et donc de son extraction qui passa d’un pic de production de plus de 10000 tonnes en 1971 à moins de 2000 tonnes/an de nos jours (voir graphique ci-dessous, données USGS).

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En ce qui concerne les mines d’or artisanales et de petites échelles, il reste difficile de mettre en place les alternatives à l’utilisation du mercure [19-21]. De plus, en dépit des mesures prises, certaines industries concernées (production d’électricité à base de charbon, de métal et de ciment) pourraient voir leurs rejets de mercure stagner et même augmenter à l’avenir à cause de besoins croissants liés à la hausse du niveau de vie mais aussi de la population sur Terre [22,23]. Dans ces domaines, des technologies de captation du mercure sont de plus en plus utilisées et permettent d’empêcher de nouvelles émissions dans l’environnement mais génèrent au passage des quantités nouvelles de mercure à stocker. Et c’est ici qu’apparait une épineuse question: que faire de ces milliers de tonnes de déchets mercuriels qui sont inutilisables, dangereux et indestructibles?

La gestion des déchets

La suppression progressive des produits contenant du mercure, des procédés industriels qui l’utilisent ou encore la capture du mercure émise par certaines industries entraînent une production considérable de déchets mercuriels chaque année qui doivent être stockés indéfiniment. De nombreuses options se présentent concernant du stockage transitoire ou permanent [24] avec un stockage en surface ou bien en sous-sol dans d’anciennes mines de sel par exemple comme c’est le cas en l’Allemagne [25].

En France, une seule tentative de stockage permanent de déchets hautements toxiques incluant du mercure avait été entreprise dans une ancienne mine de potasse en Alsace et a mené au fiasco de l’affaire StocaMine au début des années 2000 [26]. Cette solution avait été prévue comme réversible mais des déchets non conformes avaient été frauduleusement transférés à 550 mètres de profondeur dans une des galeries ne devant contenir que des éléments ininflammables. Un incendie s’est pourtant déclenché, nécessitant près de 2 mois aux pompiers pour y mettre fin. Depuis lors, la plus grande partie des déchets mercuriels avait été destockée avant la fermeture prochaine du site. 42 000 tonnes de déchets restants, principalement non mercuriels, continuent de faire couler beaucoup d’encre à cause du risque de contamination de la nappe phréatique rhénane [27-29].

Après 10 000 ans à cotoyer le mercure, nos sociétés affrontent un héritage difficile où les défis ne sont pas seulement d’ordres techniques mais aussi en terme d’organisation humaine quant à la nécessité de produire moins de déchets et de les gérer efficacement, avec transparence et responsabilité.


Références bibliographiques

[1] “Mercure et santé.” Organisation mondiale de la Santé (OMS), dernière modification le 24 octobre 2024.

[2] “Nouvel éclairage sur la catastrophe de la baie de Minamata, plus de 50 ans après.” Sciences et Avenir, dernière modification le 25 février 2020.

[3] Goren et al., The Technology of Skull Modelling in the Pre-Pottery Neolithic B (PPNB): Regional Variability, the Relation of Technology and Iconography and their Archaeological Implications. J. of Archaeological Science (2001).

[4] Brooks et al., Amalgamation and Small-Scale Gold Mining at Ancient Sardis, Turkey. Archaeological Discovery (2017).

[5] Esdaile and Chalker, The Mercury Problem in Artisanal and Small-Scale Gold Mining. Chem Eur. J. (2018).

[6] Hylander and Meili, 500 years of mercury production: Global annual inventory by region until 2000 and associated emissions. The Science of the Total Environment (2003).

[7] Palero-Fernández et al., Geological context and plumbotectonic evolution of the giant Almadén Mercury Deposit. Ore Geology Reviews (2015).

[8] Parsons, Michael & Percival, Jeanne. A brief history of mercury and its environmental impact (2005).

[9] Abundance of elements in the earth’s crust and in the sea, CRC Handbook of Chemistry and Physics, 97th edition (2016–2017), p. 14-17.

[10] “Charbon : formation, production, pays et chiffres clés en 2024.” Connaissance des Énergies, dernière modification le 18 décembre 2024.

[11] UN, Global Mercury Assessment (2018).

[12] Bravo et Cosio, Biotic formation of methylmercury: A bio–physico–chemical conundrum. Limnology and Oceanography (2019).

[13] Almeida Rodrigues et al., Mercury in aquatic fauna contamination - A systematic review on its dynamics and potential health risks. Journal of Env. Sciences (2019).

[14] Raymat et al., Elemental mercury - Its unique properties affect its behavior and fate in the environment. Env. Pollution (2017).

[15] Bellanger et al., Economic benefits of methylmercury exposure control in Europe : Monetary value of neurotoxicity prevention. Env. Health (2013).

[16] “Méthylmercure : un risque pour la santé en cas de consommation importante de poissons.” ANSES, publié le 24 octobre 2024.

[17] “Mercure : le Conseil et le Parlement parviennent à un accord pour éliminer complètement l’utilisation du mercure dans l’Union européenne.” Conseil de l’Union Européenne, dernière modification le 21 février 2024.

[18] Crook and Mousavi, The chlor-alkali process: A review of history and pollution. Env. Forensics (2016).

[19] Burgmann et al., “Doing ASGM without mercury is like trying to make omelets without eggs”. Understanding the persistence of mercury use among artisanal gold miners in Burkina Faso. Env. Science and Policy (2022).

[20] Cheng et al., Examining the inconsistency of mercury flow in post-Minamata Convention global trade concerning artisanal and small-scale gold mining activity. Ressources Conservation and Recycling (2022).

[21] Veiga et al., Review of barriers to reduce mercury use in artisanal gold mining. The extractive Industries and Society (2014).

[22] Kogut et al., Opportunities for reducing mercury emissions in the cement industry. J. of Cleaner Production (2021).

[23] Zhang et al., Global health effects of future atmospheric mercury emissions. Nature Commmunications (2021).

[24] Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). “Practical Sourcebook on Mercury Waste Storage and Disposal.” Partenariat mondial sur le mercure, publié le 5 octobre 2015.

[25] Umweltbundesamt. Behaviour of Mercury and Mercury Compounds at the Underground Disposal in Salt Formations and Their Potential Mobilisation by Saline Solutions. Publication n° UBA-FB 001785/E, juillet 2014.

[26] “StocaMine : déchets toxiques sous nappe phréatique.” France Inter, publié le 5 mai 2024.

[27] Cour des Comptes. “Les Mines de potasse d’Alsace (MDPA) et le devenir du site Stocamine”. Rapport portant sur une entreprise publique, publié le 10 décembre 2024.

[28] “Stocamine : le chantier doit se terminer sous peine de conséquences potentiellement graves, selon la Cour des comptes.” France Bleu, publié le 10 décembre 2024.

[29] “Les déchets dangereux finiront dans la nappe phréatique ? Une audition de la dernière chance à Matignon dans le dossier Stocamine.” France 3 Grand Est, publié le 21 mars 2025.